· Affaire Béton Lyonnais ·

Béton Lyonnais condamné pour le décès de son employé

Béton Lyonnais condamné pour le décès de son employé

Il est 14H30 au tribunal judiciaire de Lyon. Au sous-sol, de ce haut bâtiment, on ne voit pas le ciel gris et la pluie diluvienne qui s’abat dehors. Mais on la devine, dans les yeux de la famille de Julien*, qui pleure encore un an après, son parent décédé, et dans les yeux de M. Contamin. Contrairement à l’audience sur ses infractions environnementales qui devait se tenir le 13 Octobre dernier, il arrive peu confiant dans la 5ème chambre du tribunal judiciaire de Lyon. Peut-être sait-il que les choses sont graves, et qu’il va être difficile de se défendre.

En effet, le sujet de l’audience de ce jour est celui du décès de Julien, employé de 52 ans, décédé d’asphyxie alors qu’il travaillait pour l’entreprise, enseveli sous le sable dans une machine de Béton Lyonnais qu’il avait lui-même construite. L’employé était chargé par son patron de fixer une nouvelle pièce afin d’augmenter la capacité de la machine, et pour cela, il devait fixer des boulons à l’intérieur d’une trémie. Lorsqu’un chauffeur arrive sur le terrain, M. Contamin laisse son employé s’affairer seul pour aller l’accueillir et verser le béton dans le camion. Il monte alors dans la cabine de commandement de la machine à béton, et la met en route. Le sol se dérobe  sous les pieds de l’employé, installé sur le sable dans la trémie, pour effectuer son travail. Il est emporté et reste bloqué dans la valve. C’est alors que, selon les conclusions de l’institut médico-légal, il meurt d’asphyxie, enseveli sous le sable.

Interrogé par le président du tribunal sur le sujet, M. Contamin se défend : « Je ne savais pas qu’il était à l’intérieur de la machine ! », puisqu’une partie de son travail devait être effectué de l’extérieur. Une affirmation mise en doute par l’avocate des parties civiles : « Le chauffeur dit pourtant qu’en l’occurrence, lorsqu’il est arrivé, il n’a pas vu Julien, donc il était forcément à l’intérieur ». Et peu de temps après le lancement de la machine, le chauffeur affirme que M. Contamin lui aurait montré la trémie en l’invectivant : « Vas voir Julien comment ça se passe ». C’est alors que le drame est découvert

Mais le tribunal interroge à nouveau M. Contamin :

« Vous saviez que ça faisait partie de son travail, d’aller à l’intérieur ?
– Oui, mais je ne pensais pas qu’il le ferait à ce moment-là. Quand je me suis rendu compte qu’il y avait un risque, c’était trop tard.
 »

Et c’est en effet bien ce qui lui est reproché par le tribunal aujourd’hui. Parce que « bien sûr, M. Contamin n’a pas voulu que Julien décède », reconnaît volontiers l’avocate des parties civiles, chose sur laquelle s’accorde tout le monde. Mais il s’est rendu coupable d’une « erreur humaine » selon les mots du président du tribunal. Erreur humaine qui, selon le Procureur de la République, « juridiquement, se traduit par une absence de précautions ». En effet, l’employé travaillait sans équipements de sécurité, et sans être harnaché, ce qui est une infraction au code du travail. De plus, il travaillait sur une machine qui n’avait pas été arrêtée. Pourtant, pour le Procureur, la règle est simple : « quand on fait des travaux sur une machine, on l’éteint ».

D’autre part, le Procureur souligne le manque de formation de Julien, notamment sur les questions de sécurité. « Julien est arrivé en 1990-1991 dans l’entreprise. Un chauffeur m’avait demandé de prendre Julien dans l’entreprise », affirme M. Contamin. « Il a tout appris sur place : la conduite des machines, l’installation, la soudure,… ». Mais le Procureur de la République et les parties civiles semblent sceptiques sur ce point : « Il ne l’a jamais formé : il ne lui a jamais appris à faire du béton, ne lui a jamais fait passer les permis pour conduire les engins » affirme leur avocate. « Il a servi d’homme à tout faire », ce que reconnaît volontiers M. Contamin qui ne considère pas qu’il s’agit d’une position dévalorisante. Selon les mots de son avocat, Julien avait trouvé « une forme de confort dans le travail qui lui était confié. Il ne s’en était jamais plaint ». La preuve en serait qu’en Juin 2006, Béton Lyonnais cède une importante partie de son activité à la société Vicat Béton, beaucoup plus grosse. Julien devait être transféré dans cette nouvelle exploitation qui aurait pu lui fournir les conditions de travail d’une grande entreprise et les formations qu’il aurait voulu, mais « il a absolument voulu rester dans l’entreprise ».

Me Neyret, avocat de M. Contamin, affirme que « la réalité, c’est qu’il y avait une vraie relation d’amitié entre M. Contamin, son fils et Julien ». Et c’est d’ailleurs eux qui, lors de la cérémonie funéraire de l’employé, lui ont « fait sa toilette funéraire » et non pas la famille qui n’était pas présente, habitant dans le Nord. Me Neyret conclut en affirmant que M. Contamin a subi « un important choc psychologique », et l’intéressé d’ajouter qu’il n’a pas pu dormir des nuits durant.

Pourtant, les voisin·es, qui lançaient l’alerte sur la situation sociale et environnementale de l’entreprise il y a déjà plusieurs années, affirment dans un témoignage adressé au tribunal qu’à peine une heure après, l’entreprise avait déjà repris son activité. « Ce sont leurs dires » répond M. Contamin, qui affirme ne pas s’être rendu sur le terrain de l’entreprise avant le lundi suivant. « Ça les aide à essayer de m’enterrer ».

Mais ce débat sur l’amitié ou non de M. Contamin avec son employé ne semble guère intéresser le Procureur de la République, qui passe rapidement sur la question en disant que « Julien était vu comme celui auquel on donne les petites tâches, qu’on ne forme pas, qui fait tout sans rien savoir faire ». En somme, quelqu’un à qui on ne donnait pas « des tâches nobles », et qu’on n’estimait pas beaucoup même si on le trouvait « gentil ». Il avance que d’habitude, les audiences de droit du travail sont complexes, mais qu’ici la situation est simple. La causalité de l’accident est directe : M. Contamin n’est pas uniquement chef d’une entreprise responsable de la mort d’un employé, il est aussi celui qui a effectué l’acte qui a directement causé ce décès. Et les faits d’homicide involontaire et d’irrespect du droit du travail sont caractérisés, affirme le Procureur de la République : d’abord parce que M. Contamin ne respectait pas les règles de sécurité élémentaires qui auraient permis que son employé travaille dans de bonnes conditions, ensuite parce que son employé n’était manifestement pas formé correctement pour exercer ce type de travail, et enfin parce-que, quelle que soit la situation, il aurait du s’assurer que Julien n’était pas dans la machine au moment « d’appuyer sur le bouton ».

« On a l’impression en lisant le dossier qu’on est face à un meurtre, même si ce n’est évidemment pas la cas, tellement il était évident que ce qui est arrivé allait arriver. Mais M. Contamin, business is business, relance la machine ». Tels sont les mots du Procureur de la République, prononcés avant qu’il annonce les peines requises : 50 000€ d’amende pour l’entreprise Béton Lyonnais, 30 000€ d’amende et 2 ans de prison avec sursis pour M. Contamin, et l’affichage obligatoire du jugement sur les locaux de l’entreprise. Face à ce réquisitoire, Me Neyret assure , s’agissant de son client, « la question va au-delà du code du travail : parce qu’elle est définitive, la peine, il la subit tous les jours ». Avant d’ajouter qu’il n’est pas sûr qu’ « une amende importante soit une manière de réparer les torts qu’il a causé ».

Visiblement, le tribunal ne semble pas considérer que la peine de M. Contamin doive être « au-delà du code du travail », ni même au-delà du code pénal. Ce soir, à 20H, il a condamné M. Contamin à 20 000€ d’amende et 1 an de prison avec sursis, et son entreprise à 50 000€ d’amende, l’obligation d’afficher la décision du tribunal sur les locaux destinés à ses employés pendant 3 mois, et 55 000€ de dommages et intérêts à payer aux divers membres de la famille de Julien.

En revenant de la barre, M. Contamin, à la fin de l’audience, lance un regard aussi noir à la famille de Julien qu’à nos militant·es, présent·es sur place. Mais il semblerait bien que dans cette affaire comme dans les autres, il ne puisse reprocher à qui que ce soit d’autre ses propres actions. Et en tous cas, pas à la famille de Julien, à qui nous adressons nos plus sincères condoléances. Si comme l’affirme Me Neyret, l’amende ne répare pas les torts causés, la condamnation de M. Contamin à une peine importante, et à de vraies réparations pour la famille et la concubine de l’intéressé semble être nécessaire pour avancer dans leur deuil.

 

*Le nom a été modifié, par respect pour la famille.