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Journées Portes Entr’ouvertes à Arkema : la pollution aux PFAS au coeur d’un scandale environnemental et humain

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Journées Portes Entr’ouvertes à Arkema : la pollution aux PFAS au coeur d’un scandale environnemental et humain

par | 2 Mar 2024

Aujourd’hui, des centaines de militant-es d’Extinction Rebellion et de Youth for Climate organisent des journées portes entr’ouvertes à Pierre-Bénite (banlieue Sud-lyonnaise), sur le site de la multinationale pétrochimique Arkema. Après les rejets massifs de PFAS, autrement appelés polluants éternels, dans l’eau du Rhône, l’air et les sols et la contamination des ouvrièr-es, habitant-es et paysan-nes locaux-ales, les militant-es ont décidé d’y mener une inspection citoyenne afin d’identifier les sources de danger sur le site et de les mettre à l’arrêt le plus rapidement possible. Leur objectif : s’assurer que l’entreprise soit mise face à ses responsabilités pour les rejets passés, et qu’elle cesse toute activité nocive pour la population de la métropole lyonnaise et des territoires au Sud de Lyon. Ainsi, les militant-es procéderont à un bidouillage technique des ateliers et machines qui, aujourd’hui encore,ont pour conséquences le rejet de plus de 300 kg/an de 6:2 FTS (soit preque 1 kg/jour [0,899 kg] [1]).

Leur action s’articule autour de 3 revendications simples : d’abord, la dépollution des zones contaminées pour endiguer l’intoxication des habitant-es, ouvrier-es et paysan-nes résidant ou travaillant à proximité plus ou moins immédiate du site, qui est toujours en cours, quoi que promette l’entreprise. En effet, les produits rejetés par le passé resteront pendant des siècles piégés dans les sols, présents dans l’air et dissouts dans les eaux ; Ensuite, l’application réelle du principe de précaution : l’intégration de produits chimiques purement artificiels (les PFAS n’existant pas à l’état naturel) dans des processus industriels ne doit pas pouvoir se faire sans qu’aient été menées et publiées au préalable des études de toxicité pour la santé humaine et de dangerosité pour l’environnement et l’ensemble du vivant. Aujourd’hui, à l’inverse, la décision d’utiliser un produit potentiellement dangereux ne repose que sur l’honnêteté des entreprises. Or, le scandale sanitaire des usines DuPont aux États-Unis et autres scandales sanitaires récents n’ont fait que démontrer qu’il n’était pas possible de leur faire confiance. Pour que puisse effectivement s’appliquer le principe de précaution, les citoyen-nes doivent être en mesure de savoir : cela suppose la publication des études de dangerosité, des relevés,… Une question simple se pose d’ailleurs : depuis quand Arkema (et avant elle, Atofina, Elf-Aquitaine,…) avait-elle connaissance de la dangerosité des produits utilisés par ses usines ? Depuis quand savait-elle qu’elle intoxiquait ses ouvrièr-es, les habitant-es de Pierre-Bénite, Oullins et des villes en aval, et les paysan-nes cultivant aux alentours de l’usine ? Enfin, les militant-es exigent la reconnaissance et la réparation du préjudice subi par les habitant-es, ouvrièr-es et paysan-nes. Si aucune de ces vies vouées pour une grande partie aux cancers, maladies endocryniennes ou encore maladies thyroïdiennes ne pourront cesser de subir les effets de la pollution générée par Arkema, l’entreprise doit reconnaître le préjudice qu’elle leur a causé et mettre en actes cette reconnaissance par l’attribution de réparations adéquates.

Arkema, une entreprise impunie soutenue par l’État

Car pour l’heure, rien n’a changé pour Arkema, si ce n’est une partie de son image. Pire encore, le site de Pierre-Bénite, leader mondial dans la fabrication de polyfluorure de vinylidène (PVDF, commercialisé sous le nom Kynar) à des grades de haute performance, a bénéficié de subventions de l’Union Européenne et de l’État dans le cadre du plan  « France Relance » pour « développer, puis industrialiser un procédé innovant de production de nouveaux grades de haute performance de […] Kynar® PVDF » [2]. Grâce à cet investissement de plus de 50 millions d’euros, Arkema compte augmenter de 50% ses capacités de production de Kynar sur son site de Pierre-Bénite [3]. Il faut dire que l’entreprise en a les moyens : avec 11,5 Mds d’euros de chiffre d’affaire en 2022, en augmentation de plus de 20% par rapport à 2021 [4], l’entreprise se porte extrêmement bien. Elle a même de grands plans d’ici 2028 : 4% de croissance annuelle, et 30% de dividendes en plus pour les actionnaires pour atteindre 12 Mds d’euros de chiffre d’affaires [5]. Dans ses grands plans, la société ne semble pas du tout avoir pris en compte le coût de la responsabilité colossale qu’elle endosse dans la pollution massive aux PFAS qu’elle a engendré depuis le milieu du XXe siècle.

Arkema, une entreprise vertueuse ?

Cependant, ce qu’elle semble avoir pris en compte, c’est l’impératif d’agir face à la crise climatique et environnementale à laquelle nous faisons face aujourd’hui. Ou plus exactement, elle semble avoir pris en compte le fait qu’aujourd’hui, ne pas se présenter comme entreprise « verte » est mauvais pour le business. Car entendons-nous bien, Arkema est une entreprise capitaliste qui, par nature, cherche à gagner toujours plus, pour se développer toujours plus, afin de pouvoir produire toujours plus, gagner encore plus,… Tous ses communiqués de presse parlent d’augmentation des capacités de production, de prises de marchés, de croissance et d’augmentation des dividendes pour les actionnaires, sans qu’à aucun moment ne soit abordé le sujet de l’adéquation avec les besoins, et surtout avec les limites planétaires.
Car en réalité, comme nous l’avions déjà développé dans notre article de l’année dernière, la stratégie d’Arkema est de produire plus, mais mieux (selon elle). Or, les données scientifiques sont claires : la sobriété, la réduction de la production sera nécessaire pour faire advenir un monde qui ne met pas en péril l’avenir de l’humanité, d’autant plus que le très documenté effet rebond montre que la baisse d’impact d’une production s’accompagne généralement d’une hausse de sa consommation, conduisant au final à une hausse net de la pollution engendrée. L’année dernière, nous développions aussi pourquoi ses nouveaux procédés industriels à base de ricin posent problème, notamement au vu des surfaces agricoles qui seraient accaparées par ces industries au détriment d’une agriculture paysanne et nourricière et au vu du type d’agriculture, souvent très industrialisée (et donc destructrice des sols, de la qualité de l’air, de la biodiversité et de la santé des agriculteur-ices), auquel ces industries ont généralement recours.
Mais au-delà de ces considérations générales, le site de Pierre-Bénite est un exemple parfait de la déconnexion entre discours et agissements de ces grandes entreprises. Alors que l’entreprise se donne pour mission d’ « Aider à façonner l’avenir avec [ses] matériaux de spécialité », le site de Pierre-Bénite se concentre autour de 2 productions : le Forane et le Kynar.
Le Forane est le nom commercial de plusieurs produits chimiques fabriqués par l’entreprise. Il s’agit de gaz réfrigérants, servant à la fabrication de climatisations, frigos, camions frigorifiques,… Mais le type de Forane produit sur le site de Pierre-Bénite n’est pas anodin : il s’agit du Forane 22 (ou R-22 dans le langage commun), un gaz interdit définitivement dans les équipements depuis 2015 au sein de l’Union Européenne [6], et très largement réglementé par l’Union, notamment en application du protocole de Montréal de 1987, adopté en application de la Convention de Vienne de 1985 sur la protection de la couche d’ozone. Sa production fait l’objet de quotas de production et de commercialisation baissant chaque année, et pour cause, il s’agit d’un gaz dangereux pour la couche d’ozone et ayant un potentiel de réchauffement global (PRG) 1810 fois plus élevé que le CO2 [7]. Arkema fait donc partie des 7 entreprise qui continuent de produire du chlorodifluorométhane dans l’Union Européenne [8], malgré le fait qu’elle se refuse à le commercialiser en son sein [9]. Utilise-t-elle ce Forane pour sa propre utilisation ? Ou a-t-elle le cynisme de continuer à produire ce gaz dangereux en Europe pour l’exporter dans des pays aux législations plus favorables ?
Mais le Forane 22 n’est pas la pire des productions de cette entreprise « vertueuse ».

Une production de Kynar à l’origine d’un scandale environnemental touchant l’ensemble du vivant

C’est la production de son produit phare à Pierre-Bénite, le Kynar (PVDF) qui a entraîné pendant des années une pollution massive dans l’eau, l’air et les sols en aval de l’usine. Car entre 2003 et 2016, Atofina, devenue Arkema en 2004, utilisait du Surflon pour la fabrication du Kynar, un chouette mélange de nombreux PFAS (74% de PFNA, 12-20% de PFunDA, 5% PFtrDA et <5% de PFOA)[10]. À noter, le PFNA et le PFOA, qui font partie des PFAS les plus connus, sont aujourd’hui interdits en Europe. Le voisin d’Arkema, Daikin, société japonaise de chimie implantée depuis 2003, utilisait dès 2004 de grandes quantités de PFOA dans ses processus industriels.
Ces productions génèraient des déchets qui semblaient rejetés dans l’environnement sans aucune considération. En effet, il a fallu attendre Novembre 2022 pour qu’Arkema, quelques mois après la publication de l’enquête journalistique de l’émission « Vert de Rage » dénonçant ses rejets de PFAS, se décide enfin à mettre en place un système de filtration du 6:2 FTS qu’elle rejettait jusqu’alors à hauteur de 3,5 t. par an, directement dans l’eau du Rhône. Aujourd’hui, le site ne rejette « que » environ 1kg par jour de cette substance inconnue à la nature [11]. Qu’en était-il des autres substances ? Personne ne le saura jamais, l’entreprise ayant tout fait pour rendre impossible les quelques tentatives d’évaluation de ses rejets initiées par les scientifiques et les pouvoirs publics avant l’enquête de France 5. Entre démentèlement la veille des prélèvements des ouvrages pertinents et refus de mesurer ses rejets malgré les injonctions de la DREAL [12], aucune analyse publique n’a pu être réalisée avant que la pression de l’opinion publique ne l’impose à partir de Mai 2022.
Aujourd’hui, la pollution aux PFAS est partout autour de l’entreprise : dans l’air, bien que les valeurs relevées soient inférieures aux limites les plus restrictives au niveau international en termes de qualité de l’air : la DREAL a mesuré des concentrations de 6:2 FTS et de PFHxA (les 2 PFAS utilisés sur les sites d’Arkema et Daikin aujourd’hui) respectivement 10 et 33 fois supérieures à la Gare d’Oullins qu’à la Gare de Vénissieux, prise comme zone témoin. Concernant l’eau, celle du Rhône contient aujourd’hui de très nombreux PFAS dans des quantités qui rendent l’eau non conforme aux normes européennes : au captage de Ternay par exemple, 31 des 37 prélèvements effectués depuis Juillet 2022 se sont révélés supérieurs à la norme européenne de 100ng/L de PFAS en vigueur dans le Rhône depuis le 1er Janvier 2023. Ce sont ainsi les habitant-es des communes de Chasse‐sur‐Rhône, Loire‐sur‐Rhône (en partie), Givors, Grigny, Solaize, Communay, Saint‐Symphorien‐d’Ozon, Sérézin‐du‐Rhône, Simandres et Ternay qui sont impactés à un niveau inquiétant à cause de la pollution de l’entreprise [13]. En tout, ce sont 148 000 habitant-es, selon les chiffres publiés début Janvier par l’Agence Régionale de Santé, qui voient couler à leur robinet une eau polluée aux PFAS [14], parfois dans une concentration 3 fois supérieure à la norme européenne [15]. Dans les sols, on trouve au stade du Brotillon, que seule une voie ferroviaire sépare du site d’Arkema, et dans lequel s’entrainent les enfants du quartier, des concentrations de PFAS jusqu’à 80 fois supérieures à la valeur témoin relevée par la DREAL. Parmi les molécules les plus présentes, le PFNA et le PFunDA utilisés par Arkema de 2003 à 2016. Les valeurs relevées par la DREAL (concernant les seuls PFOA, PFOS, PFHxS et PFNA) correspondent, pour comparaison, à des niveaux 14 fois plus élevés que la norme Danoise actuelle, 51 fois plus élevés que la norme Hawaïenne, et 24 fois au-dessus de la valeur indicative hollandaise au-delà de laquelle « le pays estime qu’il y a un risque d’altération des caractéristiques fonctionnelles du sol pour l’Homme, les plantes et les animaux » [16].
Mais la contamination est aussi indirecte : les concentrations en PFNA et PFOA dans les oeufs issus de poulaillers de particuliers aux abords de l’usine sont 4 à 81 fois supérieures à la norme européenne en vigueur. Certains légumes analysés par l’État contiennent 158 fois plus de PFNA que la valeur indicative fixée par l’Union Européenne et censée déclencher une enquête approfondie, et 5 fois plus de PFOA que cette même valeur.
Et évidemment, on sait  les salarié-es d’Arkema et Daikin et les habitant-es des villes autour du site de Pierre-Bénite contaminé-es aux PFAS. Alors que les salariés travaillant au contact du produit chez Daikin avaient en 2008 une moyenne de PFOA dans le sang plus de 1 000 fois supérieure à celle de la moyenne de la population française, et correspondant à 200 fois le seuil d’alerte allemand en la matière, ceux d’Arkema avaient jusqu’à 650 µg de PFNA par litre de sang sur la période 2003-2016. C’est 32,5 fois le seuil au-delà duquel l’Académie nationale des sciences, d’ingénierie et de médecine américaine (NASEM) recommandait en 2022 aux médecins traitants entre autres un suivi particulier et un dépistage pour le cancer des reins, des testicules ou du sein, des analyses d’urine et la prescription d’hormones thyroïdiennes [17]. Quant aux habitant-es et riverain-es, iels ont, selon les analyses sanguines effectuées dans le cadre de l’enquête de France 3 Auvergne-Rhône-Alpes, une concentration de PFNA dans le sang 7 fois plus élevée que le reste de la population française en moyenne, et jusqu’à 12 fois plus élevée lorsque l’on compare les 5% les plus exposés des habitant-es de Pierre-Bénite aux 5% de français-es les plus exposé-es. Des valeurs similaires sont observables pour le PFunDA, avec des habitant-es 12 fois plus exposé-es que la moyenne de la population française et un P95 32 fois plus exposé [18].

Une entreprise qui semble avoir sciemment répandu dans l’environnement une substance qu’elle savait toxique

Aujourd’hui, la société tente de se protéger derrière l’absence de réglementation et de connaissances scientifiques sur le sujet. Cette défense rappelle étrangement celle d’une certaine entreprise américaine, nommée DuPont, et qui prétendait avoir le droit d’empoisonner des villes entières sous prétexte qu’aucune norme ne lui était imposée par l’État américain (comme le relate très bien le film Dark Waters, produit par Todd Haynes en 2019). Mais comme pour son voisin d’Outre-Atlantique, la véritable question est celle-ci :     au moment de l’implémentation dans les processus industriels des différents PFAS utilisés sur le site, l’entreprise les savait-ils toxiques ?
Arkema ne souhaite pas s’exprimer sur ce sujet, mais il semble tout de même étrange que des substances comme le PFOA, le PFNA ou encore le PFunDA aient continué d’être utilisés par l’entreprise jusqu’en 2016 alors même que le scandale touchant la société DuPont et portant précisément sur le PFOA, produit par l’entreprise pour fabriquer du Téflon, éclatait dès la fin des années 1990 aux États-Unis. Pire encore, les processus utilisant de telles molécules ont été implémentés dans les processus de production après l’explosion du scandale : Le PFOA commence à être utilisé par Daikin en 2004, tandis que le Surflon, contenant PFNA, PFunDA, PFOA,… était implémenté dans un nouveau processus de fabrication du Kynar en 2003 (bien que d’autres PFAS furent utilisés par le passé, dont du PFOA pour d’autres productions). Arkema ne savait-elle pas ?
Mais au-delà de ça, un rapport portant précisément sur la question des PFAS rédigé par l’un des représentant-es du personnel de l’enteprise s’inquiétant pour la santé des salarié-es, était posé sur la table de la direction de l’usine dès Juin 2005 et alertait déjà sur la contamination possible tant des travailleur-euses que de l’environnement. Arkema ne savait-elle pas ?
Nous sommes d’ailleurs encore moins enclin-es à leur faire confiance alors même que, comme le note une étude américaine, l’on sait que l’industrie pétrochimique du pays savait dès 1970 que « les PFAS étaient « hautement toxiques lorsqu’inhalés et modérément toxiques lorsqu’ingérés »« , et qu’elle a « usé de multiples stratégies communes aux industries du tabac, pharmaceutiques et d’autres industries pour influencer la science et la régulation – et de manière particulièrement notable la suppression de la recherche défavorable et la distorsion du discours public » [19].
Depuis quand Arkema savait-elle ?

4 atomes de fluore en moins, et c’est reparti !

Quelle différence entre ces deux molécules ? Aucune, sauf la légalité ! La première molécule, le PFOS a été interdite en Europe à cause de sa toxicité depuis 2006, et les taux tolérés dans les produits ont été encore abaissés en 2010. La seconde est une molécule aujourd’hui utilisée dans le procédé industriel d’Arkema : 4 atomes de fluore en moins, et le tour est joué.
« Oui, mais le 6:2 FTS n’est pas bioaccumulable » répondront les communicant-es d’Arkema. Tout d’abord, on manque clairement d’études et données scientifiques sur le sujet pour pouvoir affirmer les choses de manière si certaine. Mais même en admettant que ce soit le cas, le 6:2 FTS reste un polluant « très persistant dans l’environnement » [20], et qui, de toutes façons, est émis de manière continue par l’entreprise. Avant la mise en place du système de filtration, ce sont 3,5 t. de produit par an qui étaient relachées directement dans le Rhône. Ainsi, que le 6:2 FTS ne soit pas bioaccumulable ne change rien à l’exposition des habitant-es des communes en aval de l’entreprise : même si la substance ne reste pas emmagasinée dans leur coprs, iels y sont de toutes façons constamment exposé-es.
Par ailleurs, la toxicité de ce produit n’est en réalité pas connue. Même la NASF, le lobby américain des industriels des revêtements de surface, affirme que les seuls études dont on dispose consistent en « des études sur les bonnes pratiques conduites par les industriels, qui ne semblent pas avoir fait l’objet d’un examen indépendant par des experts » [21]. Ces études, globalement, affirment avant tout que le 6:2 FTS serait moins toxique que le PFOS. Mais les données restent imprécises.
Surtout, comme tous les PFAS, le 6:2 FTS se dégrade dans l’environnement en de multiples molécules, dont de nombreux autres PFAS (« arrowhead PFASs »). De l’aveu même de la synthèse réalisée par le lobby américain, « très peu d’information sur la toxicité des autres PFAS formés durant la dégradation du 6:2 FTS est disponsible, et les effets de ces PFAS sur l’environnement et la santé humaine doivent être mieux compris » [22]. Mais parmi ces PFAS, on retrouve le PFHxA, « une molécule jugée préoccupante par l’Europe [et qui] fait d’ailleurs partie des 20 molécules visées par la loi européenne sur la qualité des eaux » [23]. C’est aussi cette molécule que Daikin a décidé d’utiliser à la place du PFOA, depuis son interdiction dans les processus industriels.
Ce qui est en jeu ici est avant tout l’application du principe de précaution : parce que l’on commence à bien comprendre qu’émettre dans l’environnement des substances artificielles n’est jamais sans conséquences (c’est le principe même d’un écosystème), on ne doit plus raisonner en se disant « tant qu’on ne sait pas si c’est toxique, on utilise » mais plutôt en se disant « tant que l’on n’est pas sûr que c’est sans risque, on n’utilise pas ».
D’autant que les approches scientifiques visant à raisonner en termes de groupes de substances et plus seulement en termes de substances individuelles sont de plus en plus nombreuses : « Cette approche par groupe est également reconnue comme base pour l’évaluation des risques par plusieurs scientifiques, qui considèrent que la persistance seule devrait déjà servir de base suffisante pour réglementer les PFAS (voir par exemple Cousins et al. (2020b) ; Scheringer et al. (2022)) » [24] affirment l’Allemagne, le Danemark, les Pays-Bas, la Norvège et la Suède dans leur proposition de restriction sur les PFAS aujourd’hui examinée par l’Agence Européenne des Produits Chimiques [25]. Tant ces pays [26] que les spécialistes alertent sur les dangers d’une approche substance par substance pour réguler les matières chimiques dangeureuses : « Une fois que le PFOA et le PFOS, les perfluorés les plus connus, ont été très clairement identifiés comme posant des problèmes toxicologiques, la stratégie a été de faire varier la formule chimique ou les longueurs de chaîne de ces molécules. Mais à aucun moment l’axe directeur, c’est de maîtriser le risque, ou de produire une substance non toxique. Malheureusement, le moteur c’est de continuer à répondre au besoin » affirme Éric Branquet, chimiste et employé par une société spécialisée dans la dépollution des sols, cité dans l’excellente enquête d’Émilie Rosso pour France 3 AURA [27].
Arkema s’oppose bien sûr à cette proposition de restriction globale des PFAS sur le territoire de l’Union Européenne [28]. Et pour cause, cette proposition n’interdirait pas seulement l’utilisation et la production par l’entreprise de 6:2 FTS (aujourd’hui utilisé comme fluorosurfactant, et qu’elle prévoit de cesser d’utiliser en 2024), mais également son produit fini. Car en effet : le Kynar est en fait lui-même un PFAS (le PVDF), et plus précisément un polymère fluoré. « Les polymères fluorés d’Arkema sont considérés comme ne présentant pas de risque pour la santé humaine, ont un profil (éco)toxicologique favorable et répondent à la définition de l’OCDE des polymères peu préoccupants« , affirme l’industriel [29]. Ses matériaux contribueraient même à « une société plus durable », visiblement faite de 5G et de voitures électriques individuelles.
Pourtant les synthèses scientifiques sur le sujet ne semblent pas du même avis : « Les données examinées dans cette analyse ne permettent pas de trouver une justification scientifique concluant que les fluoropolymères sont moins préoccupants pour l’environnement et la santé humaine. Étant donné l’extrême persistence des fluoropolymères ; les émissions associées à leur production, leur usage, et leur élimination ; et la forte probabilité d’une exposition humaine aux PFAS, leur production et leur usage devrait être restreint sauf en d’usages essentiels » [30]. En effet, en passant en revue la littérature scientifique sur le sujet, et en prenant en compte l’ensemble du cycle de vie des fluoropolymères, les scientifiques concluent au fait que des sous-produits dangereux sont émis lors de la production de polymères fluorés ; que leur dissémination dans l’environnement pose les mêmes problèmes que pour les microplastiques en fin de vie ; que même si l’incinération est la meilleure manière de les éliminer, les incinérateurs actuels ne sont pas toujours capables de le faire ; que les polymères fluorés sont soupçonnés de pouvoir passer les membranes et entrer dans les cellules vivantes ; pour une même molécule, plusieurs produits commerciaux différents existent, fabriqués selon des procédés différents et de classe différente. Leur évaluation environnementale devrait donc se faire produit par produite et non pas molécule par molécule.
Ainsi, remplacer un fluorosurfactant par on ne sait quel produit (dont rien ne nous dit qu’il sera meilleur pour l’environnement ou la santé humaine) ne règlera pas le problème de la production et de l’usage des PFAS par Arkema et les autres entreprises pétrochimiques.

Au-delà de l’entreprise, la responsabilité des pouvoirs publics

Comme nous l’avions déjà relevé dans notre article de l’année dernière, seul un État au moins négligent, au pire complice peut permettre à une telle pollution d’advenir. Nous notions alors le manque de réaction de la DREAL (Direction Régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement, chargée de surveiller les sites ICPE et SEVESO) qui, malgré les nombreux incidents sur site, n’a jamais pris de sanction contre l’industriel. Nous identifions aussi la conciliance du Préfet de Région, prenant un arrêté préfectoral imposant à Arkema l’arrêt de l’utilisation du 6:2 FTS seulement en 2024 alors que l’entreprise prévoyait déjà de le faire. La situation d’urgence aurait sans doute exigé de pouvoirs publics qu’ils prennent des mesures drastiques et rapides, plutôt que de suivre le calendrier de l’industriel qu’elle est chargée de surveiller. L’ensemble des acteurs environnementaux critiquaient alors cet arrêté préfectoral comme insuffisant, le fait de laisser encore du temps à l’entreprise pour changer ses procédés industriels démontrant un souci manifestement plus fort pour sauvegarder la rentabilité d’Arkema que la santé des habitant-es et travailleur-euses.
Mais la complaisance de l’État apparaît comme atteignant des sommets lorsqu’on se penche sur son site de Lacq. Sur ce site, l’entreprise utilise le Cl4, un polluant dangereux pour la couche d’ozone, et dont l’émission est limitée par un quota établi par la Commission Européenne. Il existe des quotas nationaux pour chaque pays européen et un quota pour l’Union Européenne mais les quotas par pays ne sont pas rendus publics. Le quota à l’échelle de l’Europe pour le Cl4 s’élève à 17 tonnes par an. En 2011, un dysfonctionnement dans l’usine de Lacq entraîne des fuites discontinues entraînant l’émission d’environ 118 tonnes de Cl4. L’entreprise n’a évidemment pas été condamnée pour cela. Mieux encore, après négociations entre le gouvernement et l’entreprise, cette dernière affirme ne pas pouvoir descendre en dessous de 13 tonnes d’émissions de Cl4. Ce qui représente 76% du quota européen [31].

Élections européennes à venir : les rhodanien-nes doivent connaître la position de leurs candidat-es !

Les enjeux liés aux PFAS sont intimement liés à l’Union Européenne. En effet, si les États membres peuvent prendre des mesures de leur côté, la réglementation relative aux produits chimiques est aujourd’hui assez largement unifiée au niveau européen. D’autant que les problèmes de pollution environnementale dépassent généralement les frontières : la pollution des fleuves et cours d’eau entraîne nécessairement une pollution des pays situés en aval.
Mais au-delà de cela, c’est au niveau européen qu’est examiné le projet le plus ambitieux de réglementation des PFAS, qui viserait tout simplement à interdire leur utilisation et leur production afin de protéger la santé humaine, l’environnement et l’ensemble du vivant. Ce projet, actuellement examiné par l’Agence Européenne des Produits Chimiques (ECHA), privilégie une approche par groupe plutôt qu’une approche substance par substance, seule à même d’éviter le remplacement des produits interdits par des molécules à peine modifiées, qui seront à leur tour très longues à interdire, et justifiée par le fait que le problème avec les PFAS vient généralement de caractéristiques communes au groupe de molécules et non pas d’une molécule en particulier. Dans son rapport au gouvernement français publié fin Janvier 2024 [32], le député Cyrille Isaac-Sibille, missionné par le Gouvernement, affirme qu’il est nécessaire non-seulement de soutenir cette initiative européenne d’interdiction, mais également de prendre des mesures en amont d’une potentielle interdiction européenne.
Les citoyen-nes européen-nes doivent être en mesure de connaître le positionnement de leur Gouvernement et des candidat-es aux élections européennes sur la question des PFAS dans l’optique des élections européennes à venir. Par cette action, nous espérons également faire de la question des PFAS un sujet important des élections européennes à venir : des débats doivent se tenir sur le sujet et la position des candidat-es doit être très claire.

Les militant-es passent à l’action

Face au scandale environnemental et humain qui se révèle être d’envergure toujours plus importante au fil des mois,  les militant-es d’Extinction Rebellion et de Youth for Climate de toute la France et d’ailleurs passent à l’action pour exiger la dépollution des sites contaminés aux frais d’Arkema, l’application réelle du principe de précaution, et la réparation du préjudice subi par les salari-ées, habitant-es et paysan-nes travaillant, vivant ou cultivant à proximité de l’entreprise. Par des actes forts, iels tentent de mettre à l’arrêt, au moins pour un temps, la production mortifère d’Arkema  et cherchent à dénoncer Arkema et l’État, qui laissent faire l’entreprise voire la soutient, pour visibiliser la question des PFAS dans le débat public et tenter de responsabiliser les pouvoirs publics.

Notes

[1] Estimation basée sur les rejets de 6:2FTS sur les mois de Janvier, Février et Avril 2023 (source DREAL)
[22] id., p. 3
[24] Dossier de proposition de restriction des PFAS déposé auprès de l’Agence Européenne des Produits Chimiques par la Norvège, la Suède, l’Allemagne, les Pays-Bas et le Danemark (voir note 25) : Annex XV (https://echa.europa.eu/documents/10162/1c480180-ece9-1bdd-1eb8-0f3f8e7c0c49), p. 21
[26] Ibid.
[29] Ibid.