Lettre aux professeur.es et au personnel des établissements d’enseignement de France

Par la jeunesse engagée pour le climat et la biodiversité au sein de Youth For Climate, mars 2022

Chers professeurs et chères professeures, personnel éducatif du secondaire au supérieur, nous sollicitions à nouveau votre appui dans les grèves scolaires pour la préservation du climat, le 25 mars prochain. Depuis trois ans que nous nous mobilisons pour faire entendre notre voix, l’histoire de notre mouvement est entrée dans les manuels scolaires, mais ce que nous voulons dire en est toujours absent.

L’éducation nationale française continue de nier les causes du dérèglement climatique en relayant des mythes techno-solutionnistes, qui devraient rester cantonnés à la démagogie politique. L’innovation dérégulée y est présentée comme l’unique solution miraculeuse aux ravages du PIB alors qu’elle entraîne logiquement leur continuation. L’idéologie du « découplage », un projet littéralement absurde, y est dépeinte non seulement comme une opinion légitime mais comme une forme de savoir, tandis qu’elle contredit frontalement la totalité des faits historiques et qu’elle justifie la poursuite de politiques meurtrières.

On y parle ainsi très sérieusement de la théorie de la « croissance endogène », selon laquelle l’économie ne doit presque rien à des réalités matérielles, quand nous voyons la nôtre s’effondrer dès qu’elle manque de pétrole et les conflits se multiplier autour de l’eau. On y enseigne les notions de « soutenabilité faible » et de « substituabilité des capitaux », selon lesquelles un euro de voiture électrique vaudrait un euro d’espèce disparue, pendant que la communauté des sciences biologiques commence à s’accorder sur celle de « sixième extinction massive » du vivant. On y falsifie des résultats empiriques. On y tient des raisonnements qui recourent au surnaturel. Tout y semble désormais permis pour éviter d’interroger objectivement le revers écologique de la puissance nationale.

En mai dernier un sujet de bac de SES voulait faire l’injonction suivante : à l’aide […] du dossier documentaire, vous montrerez que l’innovation peut constituer une solution aux limites écologiques de la croissance économique. Dans le dossier en question, deux graphiques, qui n’entretiennent aucun lien causal avéré ni entre eux, ni avec l’énoncé. Le second, qui figure la consommation de la voiture moyenne vendue en France, date de 2016… et la version actuelle de la même source (publique) suggère une conclusion contraire à celle qui était impérativement demandée par l’énoncé.

Est-ce qu’on a tronqué ces statistiques ? Négligé de les vérifier à cause d’un biais de confirmation ? Ou est-ce qu’on les a cuisinées ? La réponse est ici secondaire. Un a priori idéologique s’affranchit du respect qu’on doit aux données et exige des élèves qu’iels les suivent dans cette démarche, jusque dans des examens nationaux de première importance, en passant outre les barrières déontologiques les plus nécessaires à ce que l’école reste un lieu de savoir. Une commission présidée par l’inspecteurice d’académie jette durablement le discrédit sur votre mission, en montrant par l’exemple qu’il faudrait sommer l’autre de réciter dogmatiquement avant de se demander ce qu’on sait soi-même.

Si face à cela vous ne comprenez pas notre combat pour le droit à l’éducation, dans un contexte où nous pensons qu’elle a un rôle primordial à jouer pour limiter la catastrophe climatique et biosphérique avec ses conséquences sociales, nous serons pénalisé·es pour des absences que nous venons de justifier suffisamment à notre avis. Vous cautionnerez qu’on sacrifie, à l’école, la méthode scientifique à une propagande de guerre économique, et qu’on punisse ses récalcitrant·es. Si vous ne nous donnez pas aussi de votre prestige professionnel en manifestant à nos côtés, nous nous fatiguerons encore longtemps à réclamer les réformes qui s’imposent avec urgence.

Merci pour votre aide.