Si l’on en croit le site internent de Bayer, le glyphosate est le sauveur de la nature. Accompagnés de photos idylliques de champs remplis de coquelicots, de primevères, les articles intitulés par exemple « le rôle du glyphosate dans la préservation de l’environnement et la biodiversité » expliquent que celui-ci protège les abeilles, préserve l’environnement et n’a aucun impact sur la santé, ni des consommateurices, ni des fermier·es qui l’utilisent. Pourtant, ce pesticide est accusé, en plus de détruire (malgré leur utilité connue) les écosystèmes qui se construisent autour des champs, de causer de nombreux cancers à celleux qui l’utilisent. Tentons ici de faire le point sur le glyphosate et tous ses effets. Tout d’abord, qu’est-ce que le glyphosate ? C’est une molécule, utilisée comme herbicide qui s’attaque à toutes les plantes du champ. Avec 25 % du marché des herbicides, c’est le plus utilisé au monde, principalement vendu dans le Roundup de Bayer-Monsanto. Selon Xavier Reboud, chercheur à l’institut national de la recherche agronomique (INRA), « le glyphosate doit sa notoriété à un certain nombre de propriétés. C’est un herbicide total, c’est-à-dire qu’il va détruire toutes les espèces végétales qui possèdent un même mécanisme que le glyphosate bloque » : en empêchant la production d’acides aminés indispensables à la photosynthèse, il fait mourir la plante. Cet herbicide, continue Xavier Reboud, est « très efficace pour désherber n’importe quelle situation », ce qui explique son usage dans les champs, sur la voirie ou dans des jardins particuliers. Les agriculteurices l’utilisent entre deux cultures pour éliminer les « mauvaise herbes » sans devoir recourir au labourage, ce qui est pour elleux un gain de temps et d’argent. Ces mauvaise herbes sont pourtant appréciées des abeilles et des autres pollinisateurs, et leur disparition est, comme l’assure Paul Schweitzer, du laboratoire d’analyse et d’écologie apicole « une menace pour la biodiversité végétale certes, mais également animale car de nombreuses espèces animales leurs sont inféodées ».
En plus de pouvoir détruire des plantes très résistantes – le glyphosate se répand même dans les parties les plus isolées de la plante, la détruisant complètement –, un des autres avantages apporté par cette molécule est qu’elle disparaît au bout de très peu de temps : il suffit de quelques jours entre l’usage de celui-ci et la plantation pour que cette nouvelle culture ne soit pas touchée.
Mais le glyphosate est présent jusque dans nos assiettes : une étude de 2015 de Génération futures a montré qu’il en reste des traces dans la moitié des 30 échantillons étudiés.
À l’instar de nombreux autres pesticides et engrais, le glyphosate ruisselle et on le retrouve dans de nombreux cours d’eau, dans les nappes phréatiques, et dans les eaux de pluie. Une étude américaine a étudié l’air et l’eau d’une région d’agriculture intensive : trois quarts des échantillons contiennent des traces de glyphosate. Pourtant, le glyphosate, comme on le disait tout à l’heure, n’est pas rémanent : il disparaît très rapidement, sa demie-vie (temps qu’une espèce chimique met pour perdre la moitié de ses effets) n’excède pas quelques mois. Cette fréquence est due à l’usage très important, voire excessif, du glyphosate par les agriculteurices.
Il est évident que le glyphosate est toxique pour les végétaux, mais, depuis son invention, des questions se posent quant à sa dangerosité pour les espèces animales et notamment l’humain. Autant il existe un consensus quant à la toxicité du glyphosate chez certains mammifères (comme chez certaines souris), chez qui le lien entre l’exposition au RoundUp et l’augmentation du risque de cancer est avéré, autant il n’existe pas de consensus scientifique sur la question de la toxicité du glyphosate chez l’humain. Cet herbicide est accusé de provoquer des lymphomes non hodgkinien, des cancers du sang très rares, mais il pourrait aussi être mutagène, c’est-à-dire qu’il s’attaque à l’ADN. Résumons les dernières études sur le sujet : en 2015, le Centre International de la Recherche sur le Cancer (CIRC), organisme de l’Organisation Mondiale de la Santé, classe le glyphosate comme cancérogène probable. En considérant qu’il y a un lien entre glyphosate et cancer, elle s’oppose à de très nombreuses agences de cancérologies nationales – une division due en partie à des différences d’évaluation et de méthodologie : « le CIRC évalue ce qu’on appelle des dangers, c’est-à-dire est-ce que dans l’absolu ce produit peut être cancérigène. Il ne tient pas compte de l’exposition réelle des populations. Il y a d’autres groupes d’experts donc le but est d’évaluer les risques : le danger d’une part, couplé à l’exposition. L’EFSA [et les autres agences] font des expertises, mais l’objectif [est] de savoir si le glyphosate contaminant l’alimentation pouvait poser un problème de toxicité chez l’homme » explique Robert Barouki, biochimiste à l’INSERM.
Les dernières études en date sur le glyphosate trouvent un lien entre la molécule et les LNH. La méta-analyse (analyse de plusieurs études statistiques) de cinq chercheurs américains est très intéressante, car elle se base sur des dizaines d’études statistiques du monde entier. Elle conclut que le risque de développer un LNH a augmenté de 41 % chez les travailleureuses qui utilisent du glyphosate. 3 des 5 auteurs de cette étude avaient participé en 2016 au travail de l’agence américaine EPA, qui avait conclu que le glyphosate n’est pas cancérogène. Mais elle critiquent la méthode de l’agence, qui a utilisé les chiffres fournis par Monsanto, s’opposant ainsi à une majorité de chercheureuses invité·es à participer au panel de l’EPA. Une autre étude, parue en mai dernier, et s’appuyant sur un immense panel de 315000 agriculteurices suivi·es pendant plus de dix ans, conclut à une très claire augmentation du risque de cancer. Contrairement à d’autre études réalisées sur des patient·es déjà atteint·es du cancer qui doivent rétrospectivement se souvenir des intrants chimiques utilisés et de leur quantité, ce qui apporte de la précision à l’étude. Cette étude, qui reste pourtant décriée par d’autres chercheureuses, conclut que le glyphosate entraîne des sur-risques de 36 % de développer des LNH.
Aux États-Unis, plus de 11000 malades ont engagé une proédure judiciaire contre Monsanto. La justice américaine a donné raison aux victimes lors des deux procès qui ont eu lieu, accusant Monsanto de « malveillance », et l’entreprise doit payer 2200 millions de dollars au jardinier Dewayne Johnson et à deux particuliers américains, les époux Pilliod.
Monsanto mène d’importantes actions de lobbying, en tentant de convaincre les scientifiques des agences de cancérologie mais aussi le grand public. Les Monsanto Papers, révélés notamment par le journal Le Monde, montrent cette stratégie de propagande, et détaillent comment certains rapports d’agences de cancérologie sont en partie des copiés-collés de rapport et d’arguments de l’entreprise. Monsanto s’inquiète d’ailleurs beaucoup dans des notes internes de la dangerosité de ses produits.
Que dit la loi aujourd’hui ?
Depuis le 1er janvier 2019, le glyphosate destiné à un usage par des particulier·es est interdit.
Pour les professionnel·les, l’État s’est engagé à supprimer le glyphosate d’ici 2021. Néanmoins, il existera des dérogations pour certains usages du glyphosate (ces termes étant très flous) jusqu’en 2023.